dimanche 1 avril 2012

Mediation, main tendue par la Justice (discours de la Pdte du TGI Paris)

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Paris – 12 mars 2012

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a organisé le 12 mars 2012, une matinée-débat sur la médiation et ses enjeux, nous publions ci-après le discours de la Présidente Chantal Arens ainsi que la synthèse des travaux sous la plume d’Hélène Gebhardt.

Main tendue par la Justice
par Chantal Arens

La médiation, introduite dans le Code de procédure civile en 1995, est restée pendant longtemps une pratique plutôt marginale dans nos juridictions. Depuis quelques années, une succession de textes dont les derniers sont l’ordonnance du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive européenne du 21 mai 2008 sur la médiation et le décret du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends, qui réglemente aussi la convention de procédure participative, marque l’importance donnée par le législateur à la médiation.

Les juges sont invités désormais à envisager les modes alternatifs de règlement des conflits, et particulièrement la médiation, comme un complément approprié de la mission de justice. Aujourd’hui, nous en sommes tous les acteurs, magistrats, greffiers, avocats et médiateurs, qui voulons participer ensemble à l’élaboration d’une justice, humaine, sereine et constructive.
Pourquoi cette évolution et ce changement dans la culture judiciaire ? Dans une société où les régulations traditionnelles sont de moins en moins efficientes et où les rapports sociaux se complexifient, l’attente envers la justice est de plus en plus pressante, et dépasse souvent les compétences et les moyens dont elle dispose. Cette situation se traduit alors par un déficit de confiance dans l’institution. On critique la complexité du langage juridique, la durée des procédures, leur coût.

Nous sommes tous conscients que les décisions rendues au seul tranchant de la loi ne permettent pas toujours de résoudre les conflits de manière satisfaisante. Le juge est saisi d’un litige présenté sous un aspect strictement juridique, qui n’est souvent que la partie émergée de l’iceberg. Les ressorts humains, psychologiques, sociaux et relationnels des conflits, nourris de rancœurs et de malenten- dus sont souvent cachés bien qu’inhérents au dossier soumis à l’imperium du juge. La décision de justice va régler le litige, mais ne met- tra pas toujours fin au conflit, qui pourra resurgir sous d’autres formes. Un jugement, parfait en droit, peut avoir des conséquences excessives ou inadaptées aux enjeux humains, rendant difficile le maintien des relations entre les parties ou engendrant des difficultés d’exécution si la décision est mal comprise ou n’est pas acceptée.
“Nous sommes tous conscients que les décisions rendues au seul tranchant de la loi ne permettent pas toujours de résoudre les conflits de manière satisfaisante.”Chantal Arens

La médiation peut intervenir pour offrir un espace de dialogue où le médiateur, tiers compétent, indépendant et impartial, n’est ni un décideur ni un conseiller mais un facilitateur de communication entre les parties. Il met en œuvre, par le professionnalisme qu’on attend de lui, un processus structuré, où les parties peuvent enfin s’exprimer dans un lieu protégé par la confidentialité, s’écouter, mieux se comprendre, avancer l’une vers l’autre et ainsi être en capacité de trouver par elles-mêmes des solutions en équité, sur mesure, parfois inventives, pour régler leur conflit dans tous ses enjeux particuliers.

La justice ne peut que favoriser cette voie où les parties ne se considéreront plus comme des adversaires engagés dans un combat judiciaire, mais des partenaires à la recherche d’une solution commune satisfaisant l’intérêt de chacun. C’est seulement dans cette démarche d’apaisement, mais aussi de responsabilité, que les parties en conflit pourront préserver leurs relations pour l’avenir, ce qu’on appelle le « vivre ensemble », que ce soit dans le domaine commercial, contractuel, familial, de voisinage, etc.

Il peut être souligné que le rôle du juge a évolué : sa mission n’est plus seulement de dire le droit, mais de contribuer à la paix sociale. Il peut la remplir en mettant les parties sur l’orbite d’une solution négociée et consensuelle, garante de cette paix sociale. La médiation correspond, selon les termes de Guy Canivet, ancien Premier président de la Cour de cassation (colloque de Valence 2002) à « une conception moderne de la justice, une justice qui observe, qui facilite la négociation, qui prend en compte l’exécution, qui ménage les relations futures entre les parties, qui préserve le tissu social ».
La médiation participe également de cette évolution de notre société vers une autonomie accrue des personnes, les citoyens aspirant à une sorte de « justice participative », où la décision se construit avec eux. Fait significatif : l’apport majeur de l’ordonnance et du décret pris pour la transposition de la directive sur la médiation concerne l’entrée de la médiation conventionnelle dans le Code de procédure civile (articles 1530 à 1535 du CPC) qui jusque-là ne traitait que de la médiation ordonnée par le juge.

D’aucuns s’inquiètent de ce que la médiation traduirait une sorte de « privatisation » de la
justice. Cette crainte me paraît injustifiée, puisque la médiation se déroule à l’ombre du droit et sous le contrôle du juge, qui a la faculté d’homologuer ou non les accords issus de la médiation, qu’elle soit conventionnelle ou judiciaire. Si la justice ne favorise pas la médiation, la médiation se fera sans la justice, avec précisément des risques de dérives d’accords se situant en marge du droit…
La médiation n’a pas vocation à désengorger les juridictions, mais elle peut prévenir le retour et la multiplication des contentieux. Elle contribue à donner à la justice le visage d’une institution plus humaine, à l’écoute des parties, et permet selon une formule bien connue, de « moins juger pour mieux juger ».

Le tribunal de grande instance de Paris s’est voulu résolument à la pointe de ce changement de culture dans les pratiques judiciaires.
En matière familiale, dès janvier 2007, a été mise en place au tribunal une permanence d’information à la médiation familiale, en partenariat avec diverses associations de médiateurs. Le service des affaires familiales a expérimenté, dès 2008, la pratique de la « double convocation » dans les affaires présélectionnées par les juges, les parties recevaient en même temps que leur convocation à l’audience, une convocation à un entretien préalable d’information sur la médiation familiale. Depuis mai 2011, cette convocation s’est généralisée à l’ensemble des contentieux traités par les juges aux affaires familiales, sans sélection de dossiers.
Onze associations de médiation familiale tiennent une permanence d’information par semaine dans les différents arrondissements de Paris. Cela se traduit par une augmentation très importante des médiations volontaires, avant ou après l’audience. Aujourd’hui, la médiation fait partie intégrante du paysage du service des affaires familiales. Les avocats eux-mêmes la proposent de plus en plus à l’audience, car elle est un outil indispensable de pacification des conflits, dans ce domaine où les enjeux sont principalement relationnels et affectifs et où se joue le sort des liens familiaux.

En matière civile, un protocole sur la médiation a été signé le 14 décembre 2009 entre le tribunal et le barreau de Paris, fruit d’une concertation menée avec tous les acteurs concernés, magistrats, avocats, responsables de greffe, médiateurs.
Il a été institué une Unité de Médiation civile présidée par le président du tribunal, composée de magistrats, d’avocats et de greffiers et animée par le référent pour la médiation au tribunal. Cette unité a pour objectif de proposer, organiser et structurer les modalités de recours à la médiation au sein des chambres civiles, et se réunit régulièrement.
Le 1er mars 2010 a été mise en place auprès des chambres civiles, la pratique de la « double convocation ». L’idée est de favoriser la médiation en tout début de procédure, à un stade où le conflit n’est pas encore cristallisé.

Je tiens, à cet égard, à saluer le travail accompli avec l’aide du Barreau de Paris. Je sais pouvoir
compter sur Madame le Bâtonnier Féral-Schul, pour poursuivre la réflexion sur le développement des modes alternatifs de règlement des conflits. Nous sommes tous conscients que la médiation ne peut exister qu’avec l’adhésion des avocats, garants de l’intérêt des parties durant le processus de médiation et rédacteurs d’un éventuel protocole d’accord.

Je tiens à rappeler que le développement de la médiation repose sur la confiance et la coopération entre tous ses acteurs : il faut que les juges et les avocats aient confiance dans la qualité des médiateurs, et que les avocats se sentent pleinement associés dans cette démarche ; mais aussi que les parties ressentent que la médiation, loin d’être un moyen d’évacuer leur litige, est une main tendue par la justice pour le résoudre d’une façon digne et responsable, à la faveur de la rencontre avec l’autre : selon la formule d’Hannah Arendt,
« rendre la justice c’est rendre son humanité à l’autre ».

Il n’est pas aisé, dans nos professions judiciaires, de rompre avec la pesanteur des habitudes et des représentations. Le changement de culture et d’état d’esprit qu’implique la médiation, prendra du temps, mais en conjuguant tous nos efforts, je suis convaincue que nous pourrons tracer la voie d’une justice plus harmonieuse, axée sur un esprit de dialogue et de paix.

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